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Hanotaux, Gabriel, 1853-1944 / Histoire illustrée de la guerre de 1914
Tome 1 (1915)
Chapitre IV: L'Allemagne politique, pp. 63-[111]
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HISTOIRI; DiE A USGUNF I ) F I . GtIJRRE, 1)1, 1914 Les pontifes lisent une formule avec l'onction que comporte une religion nouvelle. Cent mille bras se lËvent vers le ciel; cent mille mains font au-dessus de la foule sombre comme un ourlet blanc baignÈ de soleil. Que font ces braves gens? Ils jurent de conquÈrir les liber- tÈs politiques, mÍme au pÈril de leur vie. ((La minute est solennelle. Au ch'teau, on s'Èmeut. Est-ce que la rÈvolution serait pos- sible? La cour du palais regorge de troupes: des mitrailleuses sont postÈes; les ponts sont barrÈs. Est-ce I789 oU I83o? ((Tout ý coup, l'Ènorme troupeau s'Èbranle et se disloque avec des cris de terreur. Il a suffi d'une centaine de sergents de ville tom- bant sur la foule ý coups de poings, de pied, de plats de sabre pour s'en rendre maÓtre, sans rencontrer mÍme une vellÈitÈ de rÈsistance. (Bonnefon.) Au moment dÈcisif, le vieux servilisme national l'emporte encore, mÍme sur la vio- lence des passions et l'Ènergie individuelle. Ces gens peuvent Ítre braves: mais ils ne sont soldats que pour le roi et derriËre des sous- officiers. Ils ne seraient ý craindre que si la bÍte criait en eux et s'ils avaient faim. La crainte du socialisme, en tant que corps politique, n'est donc pas une des causes immÈ- diates de la guerre : mais le pÈril du chÙmage, l'apprÈhension des misËres extrÍmes tombant sur un peuple habituÈ au bien-Ítre et rÈsu- mant tout son effort dans une question de subsistance, hantait sans cesse l'esprit des dirigeants allemands. La vÈritable puissance d'action du socia- lisme est une sorte de chantage par le spectre de la famine. De lý ses succËs devant les Èlecteurs, de lý cette puissance Èlectorale qui, sans le rendre maÓtre du pays. envahissait les bancs du Reichstag et se targuait d'arra- cher le pouvoir au parti agrarien et hobereau Querelle d'estomacs, rivalitÈ de bien-Ítre, concurrence de ventres, lý encore. Les Grac- ques allemands menaÁaient l'aristocratie ter- rienne. Les iii voix socialistes apparaissaient comme l'avant-garde de la conquÍte prolÈtaire. Les hobereaux tremblaient pour leurs intÈrÍts, pour leur fortune, pour leurs hÈri- tages. La couronne, prise entre les possÈ- dants ª et les convoitants n, Ètait obligÈe de se prononcer. Il est incontestable que l'em- barras de choisir, la perspective d'une nouvelle dissolution avec des Èlections plus violemment socialistes, durent aussi porter le gouverne- ment impÈrial vers la seule issue des grandes crises intÈrieures, la guerre. LE Les difficultÈs inhÈ- PARTICULARISME rentes ý la constitu- tion de l'Empire, les (( impossibilitÈs d'Ítre ne sont pas seulement de l'ordre politique, Èco- nomique ou social, elles tiennent aussi ý l'his- toire, ý la gÈographie, ý la religion; la nationa- litÈ allemande est unifiÈe, ses cadres ne le sont pas. C'est encore les disiecti membra... On peut se demander si, parmi les causes de la guerre actuelle, il ne reste pas un dernier effort des particularismes anciens cherchant leur voie et qui, peut-Ítre, la retrouveront dans les arrangements consÈcutifs ý la guerre. L'Alle- magne est une nation qui, si l'on s'en rapporte ý son passÈ, trouvera sa forme dÈfinitive, non dans la centralisation, mais dans la confÈdÈration. Une lutte sourde, cachÈe sous les formes correctes du protocole officiel, persiste entre les anciennes formations politiques et le nouveau mÈcanisme impÈrial, qui n'a pas su s'adapter. Dans l'histoire de France, ce dÈbat s'est pro- longÈ pendant plusieurs siËcles et il a mis plusieurs fois en pÈril l'existence du pays et de la dynastie quoi d'Ètonnant s'il se pro- duit en Allemagne et s'il intÈresse, lý comme chez nous, les destinÈes nationales? Ce sont, d'abord, les cours d'Allemagne dÈfendant leur indÈpendance, leur influence, leurs intÈrÍts, contre les empiÈtements du pouvoir central. Outre les luttes occultes et sourdes renfermÈes dans la clÙture des ch'- teaux et des palais royaux, o~ princes et princesses se dÈchirent ý belles dents, on en a quelque Ècho dans le public: c'est par exemple, le discours du prince Louis de BaviËre
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