Page View
Hanotaux, Gabriel, 1853-1944 / Histoire illustrée de la guerre de 1914
Tome 1 (1915)
Chapitre III: L'Allemagne économique et le pangermanisme, pp. 42-[62]
PDF (10.5 MB)
Page 44
HISTOIRE ILLUSTRSE DE LA GUERRE DE I9I4 fondes de la guerre actuelle. Des aspirations diffÈrentes, des besoins contraires les sÈparent, mÍme si leur volontÈ les rapproche. Une sorte d'incompatibilitÈ instinctive subsiste malgrÈ tout et elle se manifeste dans la concurrence des partis politiques, entravant, ý la ongue, le mÈcanisme, d'ailleurs infiniment complexe et dÈlicat, de l'Empire. Le Prussien, lourd et blond, est froid, per- sÈvÈrant, appliquÈ, mÈthodique, il est servile; ses habitudes d'espionnage et de dÈlation, contractÈes sous un rÈgime policier de plu- sieurs siËcles, se vengent, quand il le peut, par une ironie sournoise, mais 'pre et inso- lente. Sa longue pauvretÈ l'a rendu parc:mo- nieux et endurant: ce sont des qualitÈs que sa richesse rÈcente altËre. La rigiditÈ protes- tante a fait place ý un athÈisme profond qui n'a fait que renforcer ses tendances ý l'hypo- crisie. Le RhÈnan est souvent brun et de taille plus fine; il est gai et mystique, industrieux et rÈaliste; il a bu le vin de ses coteaux, est amoureux des plaisirs et s'humanise quand le soleil luit; le Bavarois reste fidËle ý la foi ances- trale, avec un tour d'esprit grossiËrement jovial. Le Hanovrien, ý la fois compassÈ et sentimen- tal, serait assez bonhomme s'il ne craignait de manquer ý la morgue qui affirme les distances, d'un bout ý l'autre de l'Empire. Ces Allemands de l'Ouest et du Sud ne se sentent pas tout ý fait chez eux en Prusse: mais ils ont voulu et acceptÈ le joug pour l'unitÈ. Quand quelque faute par trop lourde blesse leur sentiment esthÈtique, l'instinct pro- teste d'abord, mais l'esprit de discipline l'emporte ensuite (par exemple lors de l'inci- dent de Saverne) parce que le maÓtre est brutal et qu'il n'admet pas les contradictions trop soutenues. Les RhÈnans sont de sang celte et de culture romaine. Tous les noms qui, en Thu- ringe et sur les bords du Rhin, se terminent en briga, magus, durum et acum, prouvent l'existence des tribus gauloises. Les Romains, s'appuyant sur la Gaule, mais utilisant les ser- vices des Germains, firent un mÈlange, proba- blement rÈflÈchi, des deux races. Les Gaulois transmirent aux Germains la civilisation romaine. Le nom de Germain ne prouve nullement l'existence d'une unitÈ ethni- que, c'est un mot gaulois qui veut dire voisins ª. D'autre part, ces peuples du Rhin supÈ- rieur furent, de tout temps, es ennemis des peuples du bas Rhin, les Bataves, les Frisons, les Francs, qui paraissaient Ítre des Normands, des hommes du Nord ª, c'est-ý-dire des Scandi- naves, et qui, d'aprËs Tacite, parlaient la mÍme langue que les Danois et les Angles conquÈrants de l'Angleterre. On trouve la trace de ces hostilitÈs Èternelles dans la lÈgende de Siegfried o~ il est dit que, seul, Dietrich de Berne a pu vaincre les hÈros indomptables du Niederland, c'est-ý-dire les Francs-Saliens. On peut admettre, sans trop insister sur ces distinctions un peu obscures et infiniment altÈrÈes par les siËcles, qu'autour de la Mer du Nord, trois races rivales se sont tou ours trouvÈes aux prises: les Celtes qui ont survÈcu en Belgique, les hommes du Nord qui ont survÈcu en tant que FranÁais du Nord, Anglais, Normands, Scandinaves, et enfin les Allemands, ennemis traditionnels de l'une et de l'autre race, mais qui ont soumis les RhÈnans, formÈs du mÈlange de toutes les trois. Ces diffÈrences ethnographiques essentielles se remarquent encore dans certains traits frappants de la politique moderne. Mayence, Francfort-sur-le-Mein, Cologne, TrËves, ý peine conquis par nous, se donnËrent. Ces provinces ont volontairement gardÈ les principes de notre Code civil, qui correspond ý leur conception de la famille et de la propriÈtÈ: c'est, qu'en nous, elles se reconnaissaient. Les savants d'ou- tre-Rhin ont cherchÈ ý la loupe, pendant quarante ans, les indices d'une protestation alsacienne contre la conquÍte de Louis XIV. ils ne l'ont pas trouvÈe. Distinguons donc ces demi-Celtes des vrais I i
Copyright by Gabriel Hanotaux, 1915.| For information on re-use see: http://digital.library.wisc.edu/1711.dl/Copyright