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Hanotaux, Gabriel, 1853-1944 / Histoire illustrée de la guerre de 1914
Tome 1 (1915)
Chapitre premier: Les origines diplomatiques du conflit, pp. 7-[26]
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HISTOIRE ILLUSTRSE DE LA GUERRE DE 14I4 Quoi qu'il en soit, la politique et mÍme la conquÍte militaire ne peuvent attÈnuer les conflits latents entretenus par la gÈographie, l'ethnographie, la religion. Le nouvel empire allemand ne pouvait garder une certaine sÈcuritÈ qu'en unissant ý son sort l'Allemagne austro-hongroise; mais, en crÈant le lien, il s'attachait lui-mÍme. Cette unitÈ aux deux fronts, bifrons, ne pouvait se constituer que si elle tenait compte des deux intÈrÍts, des deux aspirations qu'elle contenait en son sein. L'Allemagne du Nord ne pouvait s'assurer la fidÈlitÈ de l'Allemagne du Sud que si elle prenait en charge les intÈrÍts de celle-ci. L'Autriche-Hongrie, refoulÈe et en quelque sorte expulsÈe des territoires o~ elle avait rÈgnÈ, ne trouvait plus d'autre expansion que vers le Danube. C'est ce que Bismarck explique parfaitement dans ses Souvenirs, quand il Ècrit : Il est naturel que les habitants du bassin du Danube puissent avoir des intÈ- rÍts et des vues qui s'Ètendent au delý des limites actuelles de la monarchie austro-hon- groise. La maniËre dont l'Empire allemand s'est constituÈ montre comment l'Autriche peut grouper autour d'elle les intÈrÍts entre les populations de race roumaine et les bouches du Cattaro. ª Ces paroles Ètaient, pour l'Autriche, tout un programme d'action. On voit donc que les origines de la guerre de I9I4 Ètaient incluses dans le parti que prenait l'Allemagne de lier son sort ý celui de l'Autriche-Hongrie. Puisque l'Allemagne nouvelle imposait cette politique ý l'Autriche Hongrie, elle devait lui en garantir le bÈnÈfice. S'il en est ÈtÈ autrement, la politique austro-hongroise se serait probable- ment retournÈe, et, unie ý la politique franÁaise, elle est fait courir les plus grands risques ý la domination prussienne en Allemagne; Sadowa et Sedan auraient associÈ leur (<revanche ª. L'ALLEMAGNE SE PRONONCE L'Alle- POUR L'AUTRICHE-HONGRIE magne, ayant pris le parti de pousser l'Autriche sur le Danube et vers les Balkans, devait chercher ses instruments dans les reprÈsentants et le directeurs de la politique austro - hongroise. Elle n'avait qu'ý se baisser, en quelque sorte, pour ramasser des coopÈrateurs et des com- plices: c'Ètaient les ministres hongrois. Les Hongrois n'aiment pas les Slaves. Bismarck, qui connaissait bien ce sentiment, rÈsolut de l'exploiter, sans perdre, d'ailleurs, la libertÈ de son jugement. Il gardait son ascendant sur la politique austro-hongroise, parce qu'il en avait prÈvu les lacunes et les faiblesses. Il Ècrit, dans ses Souvenirs: Si les considÈ- rations d'une politique rÈflÈchie avaient tou- jours le dernier mot en Hongrie, ce peuple brave et indÈpendant comprendrait vite qu'il n'est, en quelque sorte, qu'une Óle au milieu de la vaste mer des populations slaves et que, Ètant donnÈe son infÈrioritÈ numÈrique, il ne peut garantir sa sÈcuritÈ qu'en s'appuyant sur l'ÈlÈment allemand. Mais l'Èpisode de Kossuthl et d'autres symptÙmes encore prouvent que, dans des moments critiques, la suffisance des avocats-hussards hongrois est plus forte que leur prÈvoyance politique et que leur empire sur eux-mÍmes. Maint Hongrois ne fait-il pas jouer, par les ambulants, l'air connu L'Al- lemand est un j...-f... ª? Il rÈsolut donc d'exploiter ce qu'il appelle lui-mÍme le chauvinisme hongrois ª, sans en Ítre dupe. Andrassy fut son instrument : il conclut avec Bismarck le traitÈ d'alliance entre les deux empires, qui fut un pacte, assurant ý l'Autriche-Hongrie un 'dÈveloppement facile dans les Balkans, et s'opposant ý l'expansion slave dans la pÈninsule. Ce pacte, puisqu'il Ètait anti-slave, Ètait fatalement anti-russe. Toutes les habiletÈs de Bismarck ne pouvaient modifier cet Ètat de choses fondamental. Si bien que l'Allemagne payait, de sa sÈcuritÈ sur la frontiËre russe, sa complaisance pour la politique austro- hongroise. Bismarck avait peut-Ítre entrevu cette consÈquence; il la vise dans ses Souvenirs. L'avenir d'une alliance avec l'Autriche-Hon- grie laisse la porte ouverte ý bien des apprÈ- hensions : la question religieuse, la possibilitÈ 12
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