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Hanotaux, Gabriel, 1853-1944 / Histoire illustrée de la guerre de 1914
Tome 15 (1923)
Chapitre LXVII: La grande crise de l'hiver 1916-1917, pp. 93-146
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HISTOIRE ILLUSTRSE DE LA GUERRE DE 19I4 n'avait pas soi-mÍme quelques rÈserves de vivres, on souf- frirait de la faim. De cette diffÈrence, il rÈsulte que le moral des campagnes est un peu plus solide. De Bor- gentreick, le 30 mars: Ici tout a ÈtÈ rÈquisi- tionnÈ, mais absolument tout, le blÈ, la viande, les haricots, l'orge. Nous avons maintenant les mÍmes rations que les habitants des villes. Mais nous nous en contentons volontiers il faut tenir d tout prix. ª Ce sursaut est purement accidentel et local de la province rhÈnane, qui est une des plus riches et qui ne donnera pas trop, ý la derniËre heure, le spectacle de la misËre, ce cri de dÈtresse part le 22 fÈvrier I9I7: Dimanche prochain, j'irai avec M. S..., ý H... ; car je souffre terriblement de la faim. Ici, je n'ai rien, mais rien du tout ý manger. Si je puis rester un certain temps ý H..., je le ferai, car pour la nourriture la situation est Èpouvantable ! Pourquoi multiplier les tÈmoignages, ils se comptent par milliers. La fameuse organi- sation ª allemande n'avait pas su prÈvoir cette situation d'une place assiÈgÈe qui devait Ítre, un jour, celle de l'Allemagne, si la guerre se prolongeait; les militaires avaient cru au fa- meux plan de Schlieffen, ý la victoire en quelques semaines avec Ècrasement de l'en- nemi; on n'avait pas admis que l'invasion de la Belgique n'assurerait pas une ouverture cons- tante sur le front de mer; on n'avait pas com- pris que la guerre sous-marine avec anÈantis- sement des vies humaines mÍme neutres, avec destruction de l'Èpargne humaine, aurait fata- lement pour corollaire le blocus maritime rigou- reux que l'Angleterre a toujours considÈrÈ comme son arme de domination la plus puis- sante dans le monde. Ainsi se retournait la devise insolente de Guillaume II et du grand amiral Tirpitz : Notre Empire est sur les eaux !>D ORGANISATION DU BLOCUS. Juste re- BLOCUS A DISTANCE. vers des RATIONNEMENT choses d'ici- ET CONTINGENTEMENT ª- bas: la mer Ètait mobilisÈe parle monde contre l'Allemagne puisque l'Allemagne avait rÍvÈ de la mobiliser pour dominer le monde. Or, ce fut ici une des grandes imprÈvoyances de l'Allemagne; elle n'avait pas compris que son isolement Ècono- mique l'Ècraserait si elle ne venait pas rapi- dement ý bout de ses ennemis, et elle avait accumulÈ contre elle-mÍme les insuffisances Èconomiques par une confiance exagÈrÈe dans sa supÈrioritÈ militaire. Et pourtant on ne peut pas dire que ce point de vue n'ait pas ÈtÈ considÈrÈ en Allemagne. Le gÈnÈral von Kuhl, qui nous rÈvËle ce que l'on peut savoir des secrets de l'Etat-Major, s'explique en ces termes sur le choix de l'offen- sive sur la Belgique et la France Les raisons stratÈgiques n'Ètaient pas les seules que l'on dst considÈrer. En aucun cas l'ennemi ne devait s'avancer jusqu'au Rhin, sans quoi notre rÈgion rhÈno- westphalienne se trouvait dans un extrÍme danger, notre charbon de la Sarre et notre minerai de Lorraine seraient perdus. Nos territoires les plus importants au potnt de vue Èconomique se trouvaient malheureusement le long de nos frontiËres ; dans l'Est, le bassin houiller de Haute- SilÈsie et nos rÈgions agricoles de SilÈsie et de Prusse Orientale. Ne pouvant protÈger tous les centres Ècono- miques, nous devions prÈserver les plus importants. Si nous perdions nos districts de l'ouest, il nous devenait impossible de continuer la guerre. Ces considÈrations n'Ètaient donc pas Èloi- gnÈes de l'esprit de l'Etat-Major; mais il n'y trouve que la justification de sa formidable erreur stratÈgique, celle qui consiste ý violer la neutralitÈ belge et ý dÈchaÓner l'interven- tion de l'Angleterre. On subordonnait le sort gÈnÈral de la guerre ý ce fait particulier: la protection de tel ou tel point du territoire. Erreur colossale ! C'est comme si l'Stat-Major franÁais est, sur le conseil de quelques hommes de compÈtence restreinte, subordonnÈ tout le plan de la grande guerre ý la dÈfense du bassin de Briey. Les consÈquences Èconomiques de la guerre ayant ainsi attirÈ l'attention de l'Etat-Major allemand, qu'a-t-il fait poury parer? Rien ou ý peu prËs rien, du moins dans la premiËre partie des hostilitÈs, sous Moltke et sous Falkenhayn. Celui-ci dit ý peine deux 142
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