Page View
Hanotaux, Gabriel, 1853-1944 / Histoire illustrée de la guerre de 1914
Tome 15 (1923)
Chapitre LXVII: La grande crise de l'hiver 1916-1917, pp. 93-146
PDF (12.8 MB)
Page 141
LA GRANDE CRISE DE L'HIVER i9i6-i9I7 de l'avant. Reculer, c'est Ítre vaincu. Or, il s'agit d'un recul soudain et portant sur une partie considÈrable du front et dans la rÈgion qui avoisine le plus la capitale ennemie... Mais, alors, c'est tout le contraire de la vic- toire finale promise par la prise de Paris; s'il en est ainsi, pourquoi cette prolongation d'une guerre Èpuisante? L'abÓme apparaÓt entr'ou- vert. L'iItat-Major prodigue en vain les expli- cations, surabonde en raisons stratÈgiques gÈniales ª ; argue de la crÈation d'un glacis dÈsert ªempÍchant l'a- vance de l'ennemi on ne l'Ècoute plus.... Il a tant expliquÈ dÈjý. Et puis, ventre affa- mÈ n'a pas d'oreilles; et c'est la derniËre et la plus grave cause d'abattement et de dÈ- sespÈrance au point de vue de l'alimenta- tion, l'hiver est de plus en plus accablant; le mal, ý peine tolÈrable au dÈbut, est devenu insupportable ý la fin. Ici, c'est au tÈmoi- gnage de celui qui souffre, c'est-ý-dire du E A E GF peuple lui-mÍme, qu'il faut en appeler: car le mensonge administratif et politique ne peut pas Ètouffer la plainte de ce qui, chez ce peuple glouton, finitpardevenir, selon le mot de Ludendorff, une hystÈrie alimentaire ª. Voici donc ces plaintes que le parti adverse recueille dans les lettres Ècrites aux soldats et aux prisonniers et qui devaient lui servir d'avertissement sur l'Ètat matÈriel et moral des masses chez l'adversaire: et cela dans toutes les provinces de l'Empire. Berlin, I3 janvier I9I7: Il faut que nous mangions des betteraves, comme les vaches. Qui aurait pu croireque nousserions ainsi affamÈs? Les riches ont ý bouffer; seuls nous sommes ý plaindre. 9 fÈvrier: Comment cela va-t-il surle front? A quand la fin de la guerre? J'ai horriblement faim Œ Et 22.mars: J'ai parcouru aujourd'hui toute la rue R... ý larecherche de quelque chose ý manger. Mais je suis rentrÈe comme je suis sortie... On rentre du travail et on ne peut manger ý sa faim. Le matin, en me levant, j'ai faim, et le soir je me couche affamÈe. Et il - y en a tellement qui sont dans notre condition I LES SCOLIERS VONT i NUS Et le i2 avril, le posÈ: De Hambourg, i5 fÈ- vrier Ici, il n'y a plus rien ý brsler, ni ý manger, que toujours des choux-raves; plus de pommes de terre, et mÍme on commence ý ra- tionner les choux-raves. Qu'adviendra-il de tout ce- la? Il faut que la guerre finisse bientÙt. D'Osnabruck, le i8 janvier: Le seul problËme est la question des vivres. Il faut remplacer les pommes de terre par des raves, mais que le diable en mange s'il veut ! problËme est nettement Lorsqu'on examine attentivement la situation, alors on arrive ý conclure qu'une dÈcision doit intervenir cette annÈe, bonne ou mauvaise. La campagne a encore quelques ressources, des rÈserves; mais cela crÈe un dissentiment latent entre les villes et les campagnes ; l'unitÈ nationale, si peu solide, en est profondÈment atteinte. On Ècrit d'Erle, le II mars: Par ici, les gens n'ont plus rien ý manger. La ville n'a pas de pommes de terre; on ne touche que de la betterave et des navets. Je ne peux te dÈcrire la situation. Si l'on 14I
Copyright by Gabriel Hanotaux, 1923.| For information on re-use see: http://digital.library.wisc.edu/1711.dl/Copyright