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Hanotaux, Gabriel, 1853-1944 / Histoire illustrée de la guerre de 1914
Tome 14 (1922)
Chapitre LXIII: Effets de Verdun et de la Somme, pp. 213-[235]
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HISTOIRE ILLUSTRSE - DE L A GUERRE DE I9I4 L'image de ce qui se passait ý Verdun et sur la Somme prit encore ý mes yeux des couleurs plus sombres, aprËs tout ce que j'eus ý entendre... Nous ne perdions pas seulement notre ressort moral, mais nous perdions aussi, sans compter le sang rÈpandu en abondance, un nombre important de prisonniers et beaucoup de matÈriel de guerre... Il nous Ètait plus facile de rÈpondre aux nÈcessitÈs en donnant l'ordre d'arrÍt de l'attaque sur Verdun; il fallait s'y rÈsigner, si nous voulions tenir sur la Somme... Mais nos calculs pouvaient Ítre renversÈs par de nou- veaux succËs ennemis. Tout cela reposait dans les mains du destin... AprËs la confÈrence, nous dÓn'mes chez le Kronprinz de BaviËre. Il Ètait soldat par devoir. Ses pen- chants n'avaient rien de militaire... De mÍme que le Kron- prinz allemand, le Kronprinz de BaviËre Ètait acquis ý l'idÈe de terminer la guerre sans rÈclamer aucun avantage; mais il ne savait pas non plus si l'Entente se rallierait ý ce point de vue... Donc, le mÍme dÈsir chez les deux Kronpriiiz et la mÍme incertitude sur les moyens. C'est sur ces deux hÈritiers que l'on rejette la responsabilitÈ des premiers flÈchissements. Ils en sont ý rÈclamer la paix, sans aucun avan- tage. Sur ces donnÈes, un premier travail com- mence ý se produire: l'examen de la situation militaire a amenÈ Hindenburg et Ludendorff ý penser selon l'impression de von Kuhl (I), que si une paix avantageuse pouvait encore Ítre obtenue, le mieux serait d'y recourir. (Qu'on se souvienne de ce qui s'est passÈ en i9i8, alors que Hindenburg et Ludendorff lui-mÍme rÈclamËrent les premiers l'armis- tice: l'analogie est frappante.) Ici, il faut abandonner le rÈcit de Luden- dorff, volontairement incomplet et confus, et passer ý celui d'Hindenburg. L'art des deux complices consiste ý battre l'eau pour soulever d'autres sujets avant d'aborder celui de la paix, seul vraiment dÈcisif. Hindenbuig donne donc certaines prÈcisions, mais incidemment et ý propos de la guerre sous-marine. Il rýconte que, dans l'Ètat de dÈpression morale o~ Ètait le Grand Quartier gÈnÈral et le parti militaire allemand lors de la confÈrence de Cambrai, on mit, une fois de plus, sur le tapis la proposition de la guerre sous-marine sans limitation (I). (I) En ce qui concerne l'avis de l'Etat-Major ý cette date, voir le mÈmoire de Von Kuhl: L'Etat-Major dans la guerre La guerre sous-marine, Ècrit-il, nous parut donc un moyen de combat susceptible d'avoir une action dÈcisive sur le cours de la guerre. Elle constituait mÍme, au dÈbut de I917(cet te date est glissÈe ici, comme on va le voir, pour dÈrouter l'esprit du lecteur, car en fait, il s'agit de septembre i9I6), la seule ressource que nous pouvions engager pour terminer la guerre victorieusement, aprËs que nos ennemis nous avaient contraints ý continuer la lutte (I). Mais quelle 'serait l'attitude de l'AmÈrique en prÈsence de la guerre sous-marine et, pour l'Èviter, le prÈsident Wilson consentirait-il ý devenir l'intermÈdiaire d'une paix qui sau- verait l'Allemagne sur le penchant de sa ruine? Voici que la question de paix se rÈintroduit par ce crochet dans le rÈcit, sa date se trou- vant en mÍme temps et assez habilement dÈca- lÈe, en quelque sorte, dans l'esprit du lec- teur. Hindenburg poursuit donc son exposÈ en mÍlant les deux ordres d'idÈes, la guerre sous- marine et la nÈgociation de la paix: Les rapports que nous Ètablissions entre la guerre sous-marine et la situation gÈnÈrale militaire et poli- mondiale. C'est un morceau capital pour la connaissance des directives militaires. Von Kuhl part du texte de Clauze- witz La guerre n'est qu'une partie de la politique; et, par consÈquent, elles ne sont nullement indÈpendantes l'une de l'autre. * En consÈquence, la guerre ne peut pas se renfermer dans ses propes principes. La politique est l'intelligence, la guerre n'est que l'instrument. Il faut donc admettre la subor- dination de la guerre ý la politique. ª Mais la politique et son esprit pacifique affaiblissent la guerre. La conclusion est que, pour gagner la guerre, la politique doit Ítre malgrÈ tout subordonnÈe aux volontÈs de l'Etat-Major: car, avant tout, coordination et direction unique. (L'Etat-Major dans la guerre mondiale, p. i96 et suiv.) (I) Pour tout ce qui concerne le dÈbat qui se produisit en Allemagne au sujet de la guerre sous-marine, je ne puis que renvoy er aux MÈmoires du grand amiral von Tirpitz, en le combinant avec ceux de l'ambassadeur GÈrard: Le principe de la guerre sous-marine sans restriction ª Ètait soutenu par les amiraux et le Grand Quartier gÈnÈral, dËs le dÈbut de i9i6, Von Tirpitz dit: Falkenhayn avait soutenu le chan- celier ý son opposition contre la guerre sous-marine jusqu'ý l'automne i915, c'est alors qu'il fit connaÓtre qu'il soutien- drait la guerre sous-marine ý outrance si la marine garantis- sait le succËs. Le chancelierÈtait absolumentopposÈ ª. La lutte, dont les phases sont exposÈes dans les mÈmoires de von Tir- pitz, se poursuit entre les deux camps, dans le cours de l'an- nÈe i9i6. La confÈrence dÈcisive eut lieu le 6 mars i9i6 chez l'Empereur: von Tirpitz n'y fut pas convoquÈ. (Le chancelier Falkenhayn, Holtzendorff y assistËrent. La guerre sous- marine fut, malgrÈ l'avis contraire de Falkenhayn, ajournÈe ý une date ultÈrieure. . ª Von Tirpitz affirme, bien entendu, que ce fut un grand malheur pour l'Allemagne: La guerre sous- marine, si nous l'avions entreprise sans restriction au prin- temps de i916... aurait amenÈ l'Angleterre ý des dispositions 220
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