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Hanotaux, Gabriel, 1853-1944 / Histoire illustrée de la guerre de 1914
Tome 1 (1915)
Chapitre IV: L'Allemagne politique, pp. 63-[111]
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HIISTOIRE 1 lUSTI DE TL T A GUTERRE DE 1914 promu plus tard, par la gr'ce impÈriale, prince de Bulow, est certainement un esprit distinguÈ ; il a l'art d'agencer, le sens du possible, l'application constante quoique assez indolente aux affaires, mais il a toujours paru l'homme d'une seule affaire, en cela diplo- mate plus qu'homme d'Stat; ÈlËve de Bis- marck, mais n'ayant, du maÓtre, ni la largeur des vues, ni l'autoritÈ. Sa qualitÈ maÓtresse peut-Ítre, fut celle qui se rÈvËla en lui, quand, de ministre des Affaires ÈtrangËres, il devint chancelier, -l'Èloquence. Cet homme, de carriËre silencieuse, dÈploya, devant le parlement, une souplesse oratoire, une abondance, un esprit, une ingÈniositÈ, en un mot, un don de sÈduction que personne, peut-Ítre dans ce genre, n'a surpassÈ en Alle- magne. Mais on sentait percer, en lui, les dÈ- fauts du parlementaire ª, l'excËs dans l'habi- letÈ manoeuvriËre, le sacrifice de l'objet aux moyens, le gost de l'approbation, la prÈoccu- pation extrÍme de la presse, et, surtout, le rabaissement de son objectif ý ce qu'il appelait le sens des rÈalitÈs, ce qui revient ý dire au terre ý terre et au matÈrialisme politique. Dans le procÈdÈ de cet homme public, ÈlevÈ sur les genoux de la Cour, adouci par les longs sÈjours au dehors, attÈnuÈ par le scepti- cisme diplomatique, grisÈ par les succËs ora- toires, on ne peut pas ne pas remarquer une certaine absence de vigoureux nationalisme et de ferme attache au simple et au solide. Plus proche de Beaconsfield que de Bisinarck, il se dÈfinit, en quelque sorte, lui-mÍme, dans un de ses derniers discours: Rien n'est Èternel en politique; le but, c'est-ý-dire le bien, la gran- deur et la puissance de la patrie subsiste, mais les moyens changent selon l'opportunitÈ. Un membre distinguÈ de ce parlement et qui me voulait du bien, M. Bamberger, me disait, un jour: (t Je crois bien que le secret de la poli- tique ÈtrangËre consiste, en rÈalitÈ, dans une certaine inconsÈquence audacieuse t. ,( Une certaine inconsÈquence audacieuse ª, telle est la mÈthode de cet esprit, mÈthode que l'on put croire un moment supÈrieure, niais qui, se heurtant ý la capricieuse intempÈrance du maÓtre, aboutit ý clore sa carriËre de chancelier par un retentissant Èchec. A l'extÈrieur, le prince de Bulow donna sa mesure dans diverses circonstances qui ne sont pas sans rapport avec les ÈvÈnements de I9I4; il fut, aprËs l'Empereur Guillaume, l'endosseur, sinon le crÈateur de la politique mondiale ª; il eut, avec Chamberlain, un dÈbat retentissant et qui ne contribua pas peu ý irriter les esprits, rÈciproquement, en Allemagiie et en Angle- terre ; il rencontra, sur sa route, la politique d'Edouard VII et ne sut pas y parer; dans ses relations avec la France, il connut, d'abord, un succËs chËrement payÈ en Èpuisant l'auto- ritÈ de l'Allemagne, pour mettre en Èchec un ministre franÁais, puis un Èchec, beaucoup plus grave, en ameutant le monde contre l'Alle- magne, ý la confÈrence d'AlgÈsiras. A l'Ègard de la Russie, ses responsabilitÈs sont plus lourdes encore: c'est lui qui soutint l'Autriche-Hongrie contre la Russie, lors de l'annexion de la Bosnie- HerzÈgovine et qui, en i908, dans une situation presque semblable ý celle qui se reproduisit en I9I4, et alors qu'il s'agissait de savoir si on laisserait Ècraser la Serbie par l'Autriche, donna ý la Russie l'avis amical n( qui devait faire reculer celle-ci, mais qui ne pouvait plus se rÈpÈter par la suite. Dans la politique intÈrieure, le ministËre du comte de Bulow, alternant dans un jeu plus habile qu'efficace auprËs des diffÈrents partis conservateurs, combattit vigoureusement le socialisme, mais sans en extirper la racine. Il vit se dÈvelopper les scandales dans l'admi- nistration, dans l'armÈe, dans le monde, dans la cour. Sous ce diplomate indulgent, adroit et superficiel, la vieille Allemagne s'enrichissait et se dÈmoralisait. L'Empereur, toujours adulÈ et trompÈ, au fond, par cette insouciance Èlo- quente, s'abandonnait ý l'illusion de cette pros- pÈritÈ gangrenÈe, quand il fut rÈveillÈ par les deux coups de foudre du scandale des Eulen- bourg et de l'intervienw du Daily Telegraph. Et, pour comble, le chancelier, qui l'avait laissÈ s'approcher de l'abÓme couvert de fleurs, parut lot,t;
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